Nigeria, Sowore et Jalingo : Critique de la Dénivellation Démocratique

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Au Nigeria, grand état  fédéral de l’Afrique de l’Ouest,   la répression des libertés individuelles et les violations des droits constitutionnels des individus s’exercent à deux niveaux distincts de répercussion et d’impact différents. Ce qui est source d’une dénivellation démocratique préjudiciable aux citoyens.

Au niveau fédéral, les répressions des libertés sont motivées par des considérations politiques touchant à la sécurité du gouvernement, qui sert de prétexte à des abus, des arrestations arbitraires ou a des violations des droits constitutionnels des individus.

Mais ces agissements,  aussi impairs soient-ils, restent exposées au regard national et international, ce qui force le pouvoir fédéral à sauver les apparences en essayant de montrer patte blanche ou de prouver sa conformité aux normes démocratiques, son respect des droits de l’homme. Devant s’expliquer sur des violations des droits individuels ou démocratiques des citoyens,  le pouvoir fédéral est interpellé en permanence par les groupes de la société civile et amené à justifier formellement ses agissements sur des cas qui défraient la chronique nationale.

Malheureusement, tel n’est pas le cas au niveau des Etats, caractérisé par une irrationalité légale où le pouvoir personnel des gouvernants se substitue à la loi démocratique. Ici, les abus et violations des droits des citoyens sont monnaie courante et échappent au double regard national et international. Se prenant pour des demi-dieux et s’abritant derrière des considérations de valeurs spécifiques, les Gouverneurs incarcèrent leurs concitoyens pour un oui ou pour un non, les jettent en prison sans ménagement et sans autre forme de procès que le fait du prince. Cet autoritarisme idiosyncrasique passablement provincial est d’autant plus facile que la vie politique au niveau des Etats se déroule dans une opacité à prétention identitaire, censée s’opposer à l’influence de l’Etat fédéral. Dans ce contexte, les actions et décisions des gouvernants de tous acabits (Gouverneurs, ministres, chefs religieux, militaires et policiers, etc.) échappent à tout contrôle légal et au regard international ; ce qui conduit à des abus et excès de toutes sortes. Les gouvernants s’en donnent à cœur joie de ramener la loi à leur bon vouloir et disposent de la liberté  sinon de la vie de leurs concitoyens  comme bon leur semble.

L’agrégation de ces abus au niveau des trente six états de la fédération aboutit à un triste palmarès de la condition citoyenne au Nigeria, qui ne dépend que très partiellement de la responsabilité directe de l’État fédéral. Un fait récent encore d’actualité illustre bien la différence de la condition citoyenne entre le niveau fédéral et le niveau des Etats, il s’agit de la réaction (et des suites données à différents niveaux)  au mouvement  « Revolution Now », une campagne de protestation destinée à mettre fin à la corruption. Au niveau national, le gouvernement de Buhari a arrêté et détenu pendant plusieurs mois l’instigateur du mouvement, Sowore Omoyele, candidat malheureux  à la dernière élection présidentielle dont le capital social comprend le milieu des médias d’Abuja et de Lagos mais aussi de New York où est basée sa plate-forme en ligne, Sahara Reporters, aussi bien que le Prix Nobel et activiste infatigable, Wole Soyinka. La réaction de Buhari a été surtout motivée par la susceptibilité par rapport à sa réélection truquée et dont il craignait que l’action de Sowore ne contribuât à créer une pression sur la Cour Suprême devant laquelle les résultats sont contestés par le candidat de l’opposition PDP. Après cinq mois de détention, suite à une pression nationale et internationale conjuguée, le pouvoir de Buhari a été obligé de lâcher du lest et de libérer Sowore. Mais tel n’est pas le cas d’un autre membre de son groupe, le journaliste Agba Jalingo, président pour  l’Etat de Cross River du parti AAC de Sowore, qui a été arrêté au même moment fondamentalement pour les mêmes raisons que celui-ci, même si les charges retenues contre lui font état « de trahison, de tentative de troubler la paix publique dans le but de nuire à la réputation du gouverneur, de terrorisme et de cultisme. » Jalingo n’avait pas le même capital social que son président national, ni à l’intérieur ni à l’extérieur du pays. De plus, les raisons réelles de son arrestation avaient été déniées au travers de charges expurgées de tout activisme à caractère citoyen et maquillées en intentions criminelles ou préjudiciables à la personne du Gouverneur de son Etat. Ce traitement différentiel explique pourquoi, Agba Jalingo dont le sort est lié au bon vouloir du Gouverneur de Cross-River, reste toujours en prison, tandis que son mentor et chef de file Sowore, qui avait été arrêté au même moment que lui et fondamentalement pour les mêmes raisons,  est aujourd’hui en liberté.

La dénivellation démocratique entre la Fédération et les Etats au Nigeria n’existe malheureusement pas seulement au niveau des libertés citoyennes, elle s’exprime aussi d’une manière générale dans la gouvernance publique. La toute puissance des gouverneurs, non contente de s’exercer aux dépens des libertés citoyennes,  les conduits à disposer des biens publics comme bon leur semble. Au Nigeria, les États sont des bastions hors pairs de détournement de deniers publics !

Bèjidè Alamoran

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