À propos de : Erik Olin Wright, Utopies réelles
Dans un ouvrage magistral, Erik Olin Wright offre une réflexion d’ensemble sur les conditions du changement social. Son socialisme démocratique renoue avec l’ambition émancipatrice des sciences sociales. Mais quelle subjectivité politique pour porter ce changement ?
Le livre d’Erik Olin Wright, initialement paru en 2010 et récemment traduit en français, constitue une somme à l’ambition considérable, qui vise à redéfinir la question du changement social au XXIe siècle. Il parvient à penser ensemble des éléments souvent appréhendés séparément : une critique du capitalisme, des propositions d’alternatives concrètes et des stratégies de transformation sociale. Plus qu’un simple triptyque logique, qui forme les 3 parties de l’ouvrage, il s’agit des différentes étapes d’un même projet visant à réarmer scientifiquement la critique après l’échec du socialisme réel. Car l’oxymore que constituent les utopies réelles n’est rien de moins que cela : une réponse à la chute du mur de Berlin, fruit de 20 ans de réflexions muries depuis le camp du post-marxisme et du marxisme analytique. Aux yeux de Wright, une condition essentielle du changement social est la construction, ici et maintenant, d’utopies en acte qui, en donnant à voir leur efficacité, contribuent à réarmer le camp des radicaux, trop souvent déprimés par l’échec de leurs mobilisations. Les utopies réelles, en démontrant qu’un horizon de dépassement du capitalisme n’est pas une chimère, contribuent à (re) mobiliser ceux qui bien souvent se résignent devant l’ampleur de la tache ou l’absence d’alternative crédible.
Esquisse d’un socialisme radicalement démocratique
Sans être la plus originale, la première partie de l’ouvrage constitue le socle sur lequel Wright construit sa conceptualisation des alternatives. Après avoir présenté 11 critiques du capitalisme — de la destruction de l’environnement à l’injustice sociale et la mise à mal de la solidarité entre groupes sociaux — il distingue 3 idéaux-types de système de production : capitalisme, étatisme et socialisme démocratique. Davantage que des modes de production, il les conçoit comme des modes distincts d’organisation des relations de pouvoir à travers lesquels les ressources économiques sont allouées, contrôlées et utilisées.
Dans le système capitaliste, les moyens de production soumis à la propriété privée, quand dans le modèle étatiste ils appartiennent à l’État. Le socialisme est alors un système économique dans lequel les moyens de production sont socialisés — i.e. soumis au contrôle démocratique de la société civile — et l’allocation des ressources se fait par le biais de ce qu’il qualifie de « pouvoir d’agir social ». Celui-ci est inscrit dans la capacité à mobiliser la population de façon réciproque et horizontale, par des actions collectives volontaires et toutes formes de coopération au sein de la société civile. En ce sens, l’avènement du socialisme requiert un contrôle démocratique des structures économiques et politiques. S’il penche pour ce dernier modèle, Wright reconnaît que les systèmes de production sont toujours hybrides, représentant un mix plus ou moins équilibré de tel ou tel modèle. Il propose ainsi 5 types de socialisme démocratique au sein desquels l’intervention de l’État, du marché, de la société civile et de coopératives autogérées joue un rôle plus ou moins important.