Du Nigeria au Bénin : Et si Talon avait Raison

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Le Nigeria est un grand pays africain, pour le meilleur comme pour le pire. La corruption, par son caractère endémique et généralisé, y bat un record sans doute mondial ; elle est à tous les étages et le pays en dégouline de partout.
Les Nigérians entretiennent un rapport ambigu avec la corruption. Le fléau est d’autant plus décrié qu’il est enraciné et généralisé, chaque Nigérian estimant à plus ou moins bon droit que l’enfer de la corruption, c’est les autres. La stigmatisation du mal et la volonté de s’en débarrasser ont été la raison principale de l’élection de M. Buhari en avril 2015. Le nouveau président élu n’est peut-être pas sans défaut, mais malgré son âge avancé, il a l’avantage d’être un homme intègre, très remonté contre la corruption.
La fable de l’histoire de la corruption qui est évoquée ici est éminemment politique. On se souvient sans doute qu’à une année de la fin de son mandat, Jonathan avait eu maille à partir avec M. Sanusi Lamido, alors Président de la Banque Centrale du Nigeria (CBN). A l’époque, Sanusi avait tiré la sonnette d’alarme sur la disparition supposée de 20 milliards de dollars des caisses des revenus du pétrole. 20 milliards de dollars cela fait à peu près la bagatelle de 12.000 milliards de nos franc CFA, soit l’équivalent d’un minimum de douze années de budget béninois, et encore dans sa version gonflée dont Yayi a l’art stupide.
Aussitôt annoncée, cette disparition est disputée entre les parties prenantes dont la Ministre de l’économie Mme Ngozi Okonjo-Iweala et la toute puissante Ministre du pétrole Mme Diezani Alison-Madueke. Grand tollé, négations et dénégation de toutes parts font de cette affaire une disparition aussi rocambolesque que mystérieuse. Monsieur Sanusi en fit les frais, et fut limogé en douce. Quoi qu’il en soit, et même après l’alternance au sommet, personne ne sait où sont passés ces 20 milliards de dollars…
Une partie de la somme a certainement servi à financer la campagne électorale de M. Jonathan, par l’achat de conscience et de votes.
A bord de sa caravane électorale Jonathan avait sillonné le Nigeria profond de long en large. Il avait circulé dans chaque état, et dans chaque état, chaque département. Il avait visité chaque ethnie, et dans chaque ethnie, chaque royaume, du plus petit au plus grand.
Selon plusieurs témoignages concordants, M Jonathan, paraît-il, jouait les Timon, en déversant sur ses hôtes les fruits de sa générosité insondable. La ristourne par roitelet s’évaluait, paraît-il, en centaine de milliers de dollars. Pour les grands Oba yoruba — région qu’il convenait de mettre hors de portée de la convoitise inquiétante de son adversaire — Jonathan ne lésinait pas sur les moyens ; la manne qu’ils déversait sur eux se comptaient en dizaines de millions de dollars, payés rubis sur l’ongle et séance tenante en monnaie originale.
On peut imaginer que pour financer cette tournée dispendieuse, M. Jonathan a dû puiser dans les 20 milliards dont la mobilisation était d’autant plus facile que la disparition restait mystérieuse. Car d’où pouvait provenir tant d’argent occulte ? Il n’y a pas de fumée sans feu, si autant de millions de dollars sont dépensés, il a fallu qu’ils viennent de quelque part..
Mais à côté de cette source mirifique de la corruption politique au sommet, il y a aussi la filière militaire. En effet, la lutte contre Boko haram a été aussi un formidable appel d’air de corruption, un prétexte en or pour détourner en toute tranquillité.
Ainsi, avec les déballages de la lutte contre la corruption que mène M. Buhari, un scandale bat son plein au Nigeria actuellement sous la désignation médiatique de Dasukigate ; du nom de l’ancien directeur de la sécurité, un colonel à la retraite qui jouit d’une réputation sulfureuse d’ancien putschiste dont l’un des faits d’arme est de compter parmi les acteurs militaires du coup d’État qui renversa M Buhari en 1985. Avec ce scandale, pas moins de 2,1 milliards de dollars destinés aux armées ont été détournés à des fins politiques. Ainsi de déballage en déballage, on apprend comment toutes sortes de personnages de la vie politique et sociales, institutionnelles ou religieuses ont été, à un titre ou à un autre bénéficiaires de cette générosité perverse, à visée politique en rapport avec les élections d’avril 2015. Rois — petits et grands, médias, Journalistes, Anciens Ministres, Chefs de partis, Chefs religieux, anciens Gouverneurs, bref la liste est longue des relais sociaux et politiques corrompus avec succès par le système mis en place par le colonel Dasuki, afin d’assurer le succès électoral de Jonathan en avril 2015.
Et la véritable leçon de cette rocambolesque histoire de corruption à rebondissements est que, en dépit du caractère méthodique de la corruption et de sa portée sociopolitique indéniable, en dépit de l’énormité des sommes mises en jeu, elle n’a pas empêché l’élection de M. Buhari en avril 2015.
Probablement, l’ardeur que met la machine de répression de la corruption mise en place par M. Buhari pour faire la lumière sur ce mécanisme diabolique est d’autant plus active, implacable et performante que, quelque part, le carburant de la vengeance politique irrigue son moteur. Mais la grande leçon de cette rocambolesque histoire de corruption politique c’est que lorsque le peuple est déterminé à entendre sa voix, aucune quantité d’argent — et dans quelque devise que ce soit — ne pourrait dompter ou dévier sa volonté.
M. Buhari a été élu au Nigeria en dépit des milliards de dollars déversés par le camp Jonathan dans toute la structure sociale et politique du pays pour acheter les consciences et les votes. Signalons — non pas tant pour bémoliser notre optimisme que pour marquer des différences de principe cruciales — qu’au Nigeria, l’INEC, l’équivalent de notre CENA, s’était montré au dessus de tout soupçon de partialité, et son président, M Attahiru Jega, a fait montre d’un professionnalisme, d’un patriotisme et d’une probité jamais égalées par un Président de CENA ou de Cour constitutionnelle béninois. Et comme selon la constitution nigériane, la validation des résultats électoraux relève de la prérogative exclusive de l’INEC, on comprend que la volonté du peuple nigérian a encore moins d’obstacles ou de carcans institutionnels à souffrir qu’au Bénin.
Dans une interview hier, l’un des hommes qui tient le système politique béninois par le cordon de la bourse, Monsieur Talon, a dit qu’il « n’y a pas à craindre que l’argent distribué sera le seul élément déterminant du vote ». Gageons que ce marionnettiste financier qui a décidé d’être sa propre marionnette politique a raison.

Bidemi Aderibigbe

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