Quand on regarde les présidents civils de l’histoire politique du Bénin, on remarque, la prédilection pour certaines images, certains rapports ou traits personnels qui se renouvèle à travers le temps.
Chez les présidents Soglo, Émile Derlin Zinsou et Yayi Boni, cette prédilection est intéressante dans sa densité paradigmatique.
Nicéphore Soglo était le neveu du Général Christophe Soglo, président de la République dans les années soixante. Donc lorsqu’il voulut être président en 1990, Dieudonné Nicéphore Soglo était précédé par l’aura incarnée de son patronyme ; par elle, il distançait les autres concurrents. Sa candidature avait quelque chose d’historiquement évident. Une résonance venue du passé joua en sa faveur. Il bénéficia de l’écho favorable de son nom dans la conscience collective béninoise.
Quand Yayi Boni voulut être président, inconnu et sans nom, il a fallu qu’il se crée sa lignée de but en blanc, qu’il aille allumer lui aussi une lampe du passé ; mais aucune n’existait par filiation consanguine. C’est alors que ses mentors décidèrent d’en faire un Docteur, et ce au mépris de la convention sociale qui réservait ce titre aux médecins. Avant Yayi Boni, un président ou deux avaient porté le titre de Docteur. A ce titre, Monsieur Émile Derlin Zinsou était une fabuleuse imposture, appuyée à l’époque par les jeunes cadres de l’armée qui l’avaient hissé au pouvoir. Dans leur alchimie politique, ils avaient besoin d’une étiquette de respectabilité intellectuelle. D’où le titre de Docteur conféré à Zinsou qui, tout au moins au moment où il l’arborait publiquement, relevait d’une fiction biographique entachée de faux.
Il y eut aussi un deuxième Docteur dans l’histoire présidentielle du Bénin, celui-là pour de vrai. C’est le Docteur Basile Aju Mumuni, qui fut élu mais n’accéda point au poste, l’élection ayant été annulée autoritairement par ses organisateurs surpris par ses résultats. Mais désormais, l’image du président docteur était devenue une marque déposée dans la conscience collective. Ainsi, Yayi Boni, en quête de filiation légitimante, n’hésita pas à y faire recours. Ce titre était basé sur un doctorat universitaire en économie sanctionnant des études décousues à l’originalité sujette à caution. Mais qu’à cela ne tienne, le titre avait le mérite d’exister et devait servir et valoir ce que de droit. Bien que pathétique dans sa vanité, ce choix était médiatiquement indispensable pour donner du poids à cet inconnu, venant d’un horizon culturel inconnu, au nom inconnu, et qui pour ainsi dire n’était le fils de personne.
En s’appelant Docteur, Yayi Boni s’est trouvé sa filiation présidentielle dans son versant sociologique éminent, à défaut du versant patronymique. Yayi Boni, Docteur, rimait avec Émile Derlin Zinsou, Docteur. Et il n’était pas jusqu’au fait que l’ancien président fît partie de ses adoubeurs qui ne conférât de la légitimité à cette filiation.
L’autre image que le candidat présidentiel cultive et qui fait partie de ses évidences occultes irremplaçables est le mythe de l’alliance matrimoniale avec une femme originaire de Ouidah. Maga, Kérékou, Soglo, et Yayi Boni, pour ne citer que ces quatre présidents sont des Ouidaniers par alliance. Hasard ou nécessité, cette donnée est un fait. Il paraît que durant sa campagne présidentielle en 2005-2006, alors qu’il avait l’embarras du choix, ce critère-grigris a pesé dans la balance en faveur de Chantal de Souza comme future première Dame. Donc, on peut dire qu’être l’époux d’une femme originaire de Ouidah, cela porte bonheur quand on est candidat à la présidentielle au Bénin.
Enfin, on ne saurait passer sous silence le critère de la carrière de Fonctionnaire international. Émile Derlin Zinsou, mais aussi le Docteur Basile Aju Mumuni, étaient ou ont été à un moment donné ou à un autre des fonctionnaires internationaux, de même que Nicéphore Soglo et Yayi Boni. Les deux derniers imposant le style qui dès les années 1990 d’après le discours de la Baule de Mitterrand, consacrera la figure du nouvel acteur démocratique sous les traits du technocrate économiste, qu’il soit Banquier, ou Fonctionnaire des Institutions internationales ou sous-régionales africaines.
Dans la mesure où le vote effectif du peuple compte peu dans l’élection du président au Bénin, ces images, rapports ou traits personnels peuvent expliquer beaucoup de choses par rapport à l’élection présidentielle aujourd’hui.
Ainsi, bien que fonctionnaire international et économiste, Bio Tchané n’est pas très riche sous le rapport de ces images et traits paradigmatiques évoqués ici. Certes, il a pris pour directeur de cabinet un homme originaire de Ouidah, mais il s’en faudrait de beaucoup qu’un chef de cabinet ait la même valeur dans l’imaginaire collectif qu’une épouse ou même une banale « deuxième bureau. »
Léhady, le fils de Nicéphore Soglo fait le pied de grue devant la présidence depuis au moins une décennie, entre trahison, compromission, et soumission. Il est l’exemple vivant du fait qu’aucun de ces critères établis historiquement ou empiriquement ne saurait être tenu pour condition suffisante.
Enfin, si Yayi Boni le manipulateur sans foi ni loi est allé chercher le français Lionel Zinsou, c’est aussi en clin d’œil à l’autorité historiquement établie de ces critères. Avec Lionel Zinsou, Yayi Boni reproduit presqu’à l’identique la relation des Soglo, car le Français qui frappe impudiquement à la porte de la présidence béninoise est un neveu de l’ancien président Émile Derlin Zinsou, comme Nicéphore Soglo était le neveu du Général Christophe Soglo. Dans le cas de Lionel Zinsou, qui est Banquier international et neveu d’un ancien président, il ne manque plus que le critère-gris-gris : l’épouse originaire de Ouidah !
Au total, que ces critères aient la vie dure, nous montre bien leur caractère construit et leur fonction de système de manipulation de l’imaginaire politique. Entre autres choses, ils prouvent qu’une caste malicieuse s’est accaparée du pouvoir présidentiel et, ayant mis le peuple hors jeu, naturalise ses fraudes et sa domination par l’évidence empirique du passé.
Prof. Anselme Bakari
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