Mon Cher Pancrace,
J’ai reçu ta dernière lettre écrite depuis Addis-Abeba où tu participes en ce moment à un colloque consacré à la question de l’Intégration Africaine. L’intégration voilà un sujet passionnant pour le panafricaniste que tu es, qui m’a toujours exposé ses vues sur la méthode d’unification de l’Afrique. Toi qui t’es toujours plaint de ce paradoxe qui veut que les panafricanistes les plus acharnés soient souvent ceux-là mêmes qui peinent à unir leur village pour ne pas dire leur région ou leur pays, tu dois avoir du grain à moudre à cette réunion des têtes pensantes. Et je te suis d’autant plus reconnaissant que malgré ton absorption dans ces échanges passionnants, tu trouves le temps de m’entretenir de questions d’actualité, même si, une fois n’est pas coutume, très africaines dans leur thématique, elles ne concernent pas directement le Bénin. En effet, comme il fallait s’y attendre, de la part d’un panafricain convaincu, la situation actuelle du Burkina Faso ne te laisse pas indifférent. Après ton premier tweet dans lequel tu exprimais sur un mode désespéré les vicissitudes politiques inattendus que connaît ce pays frère, tu te fais plus explicite dans ta lettre. Ainsi écris-tu : « Avec ce qui se passe au Burkina Faso, et qui s’accepte sous nos yeux scandalisés, force est de constater que les coups d’État ont une curieuse tendance à réussir là où ils ne vont pas dans l’intérêt des peuples africains. En revanche là où le coup d’état est un besoin criard dans l’intérêt des peuples africains, il n’a jamais lieu ; c’est silence radio, le pays du matin calme. » Et tu cites des pays comme le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Congo, etc. où bien que le besoin de restaurer la dignité et l’intérêt africains soit ressenti par les peuples, les états vivent sous l’atmosphère chloroformée de la Françafrique sans histoire et sans grands remous. Tu estimes à juste titre que cet état de chose affligeant est une curiosité géopolitique africaine typiquement francophone.
Ce qui t’amène en toute logique à demander : « Peut-on jamais tenter de faire un coup d’Etat dans un pays francophone, sans l’aval de la France ? »
Eh bien, sous ces dehors rhétoriques, dans cette question tout est dit. Et reprenant la balle au bond, je vais essayer d’abonder dans ton sens tout en étant moins politiquement correct ou poli que tu ne l’es.
Mon cher Pancrace, ce n’est pas à toi que j’appendrai quelque chose en rappelant qu’actuellement la France est impliquée dans la pacification de la Centrafrique où des divisions d’ordre religieux et ethnique inédites, qui semblent avoir pris corps avec une spontanéité douteuse mettent à mal l’unité de ce pays. Naguère, la même France abonnée à la gendarmerie africaine, est intervenue au Mali pour enrayer l’avancée guerrière du terrorisme islamiste qui menaçait la paix et la cohésion nationale de ce vaste pays ouest-africain. La France se prévaut d’un certain succès ; sous sa houlette, une transition a amené un gouvernement démocratiquement élu à la tête du Mali. Mais dans ces deux cas plus ou moins récents, comme auparavant et ailleurs en Afrique, l’ambigüité du rôle de la France accrédite la thèse du pompier pyromane dont elle est souvent accusée. Au Mali, en Centrafrique, aujourd’hui, comme en Côte d’Ivoire hier ou au Rwanda avant-hier, la meilleure façon de contrôler les pays n’est-ce pas d’y fomenter, d’encourager ou de tirer partie des divisions, et intervenir militairement à des fins de mainmise politique ?
La question de l’étiologie des crises et des guerres, qui sont des maladies en Afrique, renvoie à celle, téléologique, de leur fonction et de leur bénéficiaire ultime ou principal. Et derrière tout ça, dans l’espace francophone, se profile toujours l’ombre visqueuse de la France, espèce de pédophile récidiviste, qui ne veut pas lâcher ses victimes malgré le jugement historique des indépendances prononcé dans les années 60. Dans ce rôle pervers, comme tu le sais mon Cher Pancrace, hélas, la France est appuyée par le système du monde, dans le mesure où l’argument par lequel elle vend ses menées perverses au système capitaliste occidental est de se présenter comme le défenseur historique de ses intérêts. C’est-à-dire qu’en égorgeant l’Afrique noire et en prélevant son sang, la France promet implicitement une part de ce breuvage cannibale à l’Occident. Cette promesse garantit à la France l’appui du système du monde, aussi bien dans le cercle des pays occidentaux, qu’au niveau des institutions et organisations censées régir les rapports internationaux. C’est pour cela que, aussi consternant que cela puisse paraître, du Rwanda à la Côte d’Ivoire en passant par la Centrafrique, la France commet ses crimes géopolitiques récurrents, plus ou moins suivis de génocides, de coups d’Etat, de viols, et d’une rigole de sang noir, qui ne dérangent personne.
Le modèle éclatant de cette hypocrisie est offert par la Côte d’Ivoire dont on ne peut pas dire que le coup d’Etat du Burkina voisin soit sans lien avec ses intérêts vus sous le prisme aliéné français. Comme tu sais, mon Cher Pancrace, la transition au Burkina Faso était en passe de se conclure par des élections démocratiques ; et dans le même temps se prépare la réélection de Monsieur Ouattara, le président que cinq années plus tôt la France a installé à coup d’intervention militaire musclée en éliminant son adversaire, Laurent Gbagbo, humilié et embastillé en Europe pour avoir été ferme dans sa répression d’opposants créés de toutes pièces et soutenus par elle. Une réelle incertitude entoure l’issue des élections dans ces deux pays, notamment en Côte d’Ivoire dont la grande majorité des citoyens ne voit pas d’un bon œil le règne de la justice des vainqueurs qui y sévit et le manichéisme de ses verdicts. Toutes choses qui ne dérangent pas la France qui, lorsque les injustices politiques africaines frappent ceux qui ne sont pas les instruments de ses intérêts, elles sont alors considérées comme relevant de la politique intérieure des États africains qui en tant qu’indépendants sont libres d’agir comme bon leur semble. La sauvegarde de la démocratie, le crime contre l’humanité et tous ces dormitifs éculés de la rhétorique de la mise en accusation devant la CPI dont l’Occident a la culture ne deviennent effectifs que comme des prétextes d’élimination de ceux qui n’obéissent pas au diktat léonin des Occidentaux dans leur postulat raciste de spoliation de l’Afrique dont les richesses ne sauraient échoir à ses habitants au seul motif qu’ils ont été placés près d’elles par le hasard de la nature.
En côte d’Ivoire, la France veut assurer la réélection de Ouattara, et pour cela elle veille à réunir les conditions de désamorçage de la révolte éventuelle d’une partie du pays, frustrée de l’injustice politique et de l’indignité dont Ouattara est le nom. Pour que Ouattara l’emporte, il faudrait que l’armée d’intervention du Burkina Faso soit pré-positionnée afin de parer à tout imprévu. La complicité bilatérale sur laquelle les soi-disant rebelles se sont appuyés pour harceler le gouvernement de Gbagbo et l’acculer jusqu’à l’intervention française peut se mettre virtuellement en place. Les militaires qui ont repris la main au Burkina sont chargés en priorité de se positionner en renfort à la Côte d’Ivoire afin de décourager ou de répondre à toute velléité de révolte dans le sud. De même, grâce à leur aide, peut être assuré le bon déroulement des fraudes et le gonflement massif de la liste électorale par des électeurs allogènes en faveur de Ouattara. Bref, mon cher Pancrace, l’entrée en scène des militaires Burkinabè à quelques semaines des élections ivoiriennes, qui n’ont pas craint le tollé international et le viol de la parole donnée, a bien un usage néocolonial décidé depuis Paris dans les officines de la Françafrique.
Par ailleurs, mon Cher Pancrace, toi qui es fin observateur, ce n’est pas à toi que je ferai l’affront d’expliquer le « body langage » de la France dans cette affaire. A l’annonce du coup d’État, qui n’était pas un scoop pour elle, la France s’est contentée d’ânonner les protestations d’indignation éculées et sans lendemain auxquelles le système du monde dans son hypocrisie légendaire nous a habitués. La mollesse diplomatique de la France face à ce crime politique inouï qui se perpètre sous les yeux du monde dans sa zone d’influence où le moindre battement d’aile de papillon ne peut se concevoir sans la permission de Paris est la preuve même que les militaires de la RSP sont en mission géopolitique commandée par et pour la Françafrique. Pourquoi la France qui s’intéresse tant à la paix en Afrique et qui n’hésite pas à y déployer son armée, adopte-elle dans le cas burkinabè un profil de retrait alors que l’arrêt brutal du processus de transition au Burkina Faso peut embraser ce pays ? La France ne s’intéresse-t-elle qu’à la guerre ? Ne vole-t-elle au secours de l’Afrique qu’elle s’échine à infantiliser que pour y déployer son armée, et donner l’occasion à ses soldats de violer des enfants noirs innocents, comme elle-même encule l’Afrique à sec depuis des décennies ?
Le profil bas de la France, les deux poids deux mesures dans l’occurrence des coups d’État en Afrique prouvent bien la responsabilité abjecte et objective du système néocolonial français. En l’occurrence, il n’est pas jusqu’à l’attitude finement complice de la presse française, — de RFI au journal le Monde — qui a usé de l’effet performatif de ses annonces pour entériner l’irréversibilité du fait accompli du crime politique qui se commettait au Burkina Faso qui ne participe de la division patriotique du travail néocolonial. Certains journaux comme le Monde n’hésitant pas à trouver des circonstances atténuantes et des justifications à l’intervention des militaires en dressant avec complaisance le portrait des nouveaux maîtres du pays des hommes intègres, où on apprend entre autres anecdotes croustillantes, que le Général Dienderé est un homme grand de taille et qui chausse du 51. Il est vrai que l’intervention militaire préparée avec soin a dû prévoir l’apprivoisement tarifé de la presse.
Pour ce qui est des positions de principe, les Africains ont des raisons d’être satisfaits en apparence de la position de la Communauté internationale et plus précisément des instances continentales. Ainsi l’Union africaine, par la voix de la Présidente de sa Commission, Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, a qualifié l’intervention des militaires burkinabè de terroriste, et considère qu’elle constitue une menace grave à la paix, à la stabilité et à la sécurité pour le Burkina Faso, la région et le reste du continent. Elle appelle tous les États membres de l’UA et la communauté internationale dans son ensemble à faire échec à cette tentative de remise en cause de la Transition. A la CEDEAO, au Nigéria — pays le plus important d’Afrique et de la Région –, à l’ONU même son de cloche de fermeté. Mais bien malin à cette étape celui qui peut faire la part des convenances diplomatiques plus ou moins hypocrites et de la volonté d’amener les putschistes a résipiscence dans le strict respect des principes démocratiques et de la dignité de l’Afrique. En effet, ce n’est pas la première fois que l’opinion africaine aura été gavée de rodomontades soporifiques qui sont souvent restées lettres mortes. Le premier coup d’État intervenu en Côte d’Ivoire où l’Union Africaine promettait déjà d’en découdre avec les putschistes, promesse très vite domptée par la France, est un exemple qui laisse sceptique.
Mon Cher Pancrace, au vu de tout ce qui précède, il doit sauter aux yeux des Africains qui ne sont pas aveugles que la perfidie de la France et de l’Occident est sans borne. Ce sont des gens dont la prétention à donner des leçons de principe ou de morale suscite au mieux un sourire amer ; car le racisme anti-noir qui motive leur volonté de nous saigner leur dicte froidement de faire avec nous des choses qu’ils réprouvent chez eux-mêmes et dans leurs rapports avec leurs semblables Blancs. Le processus révolutionnaire en cours au Burkina Faso qui, sous la bannière ressuscitée de feu Sankara et par lequel le peuple était en train d’écrire lui-même les pages glorieuses de son histoire était déjà trop intègre pour des peuples africains faits pour vivre dans la sujétion et l’aliénation par les Blancs. Ce processus risquait à terme de faire tache d’huile et de se répandre dans toute l’Afrique. Il fallait y mettre fin avant que ce ne soit trop tard. Cela ne veut certes pas dire que les Burkinabè n’ont pas leurs dissensions internes, mais en aucune manière celles-ci n’auraient pu autoriser une intervention létale contre le processus de transition sans l’aval de la France. Qu’au nom d’insondables intérêts, la France refuse au peuple Burkinabè le droit d’écrire par lui-même les pages de son histoire, et s’immisce sans pudeur dans un processus où même l’immixtion d’une nation africaine aurait été à certains égards obscène, voilà qui témoigne de l’immensité de sa perfidie. Les Africains doivent maintenant savoir à quoi s’en tenir dans ce monde implacable ou alors renoncer définitivement à toute liberté. L’Avenir de l’Afrique dépend de la capacité de ses peuples de mettre leur vie, toute leur vie, et donc leur mort dans la balance de la liberté. Radicalement et courageusement. Car un pays comme la France spécule jour et nuit sur cette capacité et, comme on vient de le voir au Burkina Faso, n’hésitera pas à la pousser dans ses retranchements.
Mine de rien, mon cher Pancrace, l’épisode burkinabè est un test à valeur continentale. Si l’Afrique ne rétablit pas au plus vite le processus de transition stoppé au Burkina Faso par une vétuste engeance de militaires à la solde des intrigues sataniques de la France alors c’en est fini pour les siècles des siècles de notre rêve de liberté.
En espérant que ces explications politiquement incorrectes ne choqueront pas ta sensibilité, dans la mesure où, à mon avis, elles abondent dans le sens de ta question, je te souhaite d’y trouver aussi une transition édifiante vers ton occupation du moment.
Amicalement,
Binason Avèkes

