Lettre à Pancrace sur mon Séjour Accidentel en République des CON

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Mon Cher Pancrace,

writting2Dans ce petit « bougement » dans mon monde intérieur, entre rêve et pensée, voici un petit cauchemar dans lequel tu te reconnaîtras facilement.

Dans mon rêve, le jour de mon départ de la République des CON, vêtu spontanément de façon intègre, je me suis retrouvé sur le vol AF 805 d’Air France de Cotonou vers Paris, le seul passager à m’être habillé en tenue locale intégrale. Et mal m’en a pris, côté accueil et convivialité. Pour la petite histoire, je portais un complet agbada fleuri vert, et un gobi – fila yoruba –assorti.
Dès mon entrée dans l’avion, les sourires mécaniques entendus des hôtesses sur mon passage avaient quelque chose de crispé. Certes on n’attend pas du sourire d’une hôtesse de l’air qu’il émane du fond de son cœur, mais pour le prix payé, le moins n’était-il pas qu’il s’effectuât de bonne grâce ? Un rapide regard oblique de-ci de-là me confirma que cette grâce dans les sourires ne faisait pas défaut dans la Cie.

   

D’entrée, l’impression que les hôtesses me tenaient à distance, bien qu’étayée par les amabilités et les petites attentions exclusives distribuées de-ci de-là autour de moi et qui s’inversaient net aux limites de mon regard en une grave indifférence, cette impression tenace pouvait encore tomber sous le coup de la susceptibilité. Après tout, m’étant involontairement stigmatisé moi-même par mon accoutrement, n’étais-je pas en train de faire monter la mayonnaise du délire associatif à l’état pur ? Il est vrai aussi qu’avec mon fils d’origine japonaise par sa mère et dont l’apparence asiatique était fort prononcée, je faisais un drôle de duo familial, difficile à situer qui pouvait intriguer, intriguait en effet, comme on pouvait le lire dans les regards obliques et subreptices qui m’étaient lancés.
Mais la surprise et l’indubitable vinrent m’assommer par la suite de leurs vicieuses intrigues suintant d’imparité.
C’était lors du fatidique rituel du repas. Jusque-là, j’avais enduré, les approches lapidaires et fuyantes de telles hôtesses, tantôt en verve avec telle américaine blanche, tantôt attentionnée à l’endroit de tel Béninois normal –sous-entendu, portant veste, chemise et pantalon qui, à défaut de porter la griffe d’un grand couturier français, émargeaient au giron économico-culturel occidental –mais voilà que lors du service, deux hôtesses ont réussi la prouesse par leur balayage croisé des passagers des deux rangées entre lesquels elles poussaient leurs charriots chargés de plateaux, elles ont réussi dis-je l’inénarrable prouesse de ne pas me voir ! Et de passer sans daigner me servir comme les autres ! La technique de circulation consistait à décrire un X d’une rangée vers l’autre et d’arrière en avant. Ainsi lorsqu’une d’elle servait par exemple le 36A et le 36 B du côté hublot qui comptait deux sièges, elle sevrait le 37C et le 37D de la rangée centrale tandis que sa coéquipière servait le 36 C et le 36 D puis allait vers le 37A et le 37B, ainsi de suite. Malgré ce mode de balayage tout à fait rationnel, eh bien les deux commères étaient parvenues à me sauter  ! Elles ont servi tout le monde devant moi, m’ont dépassé sans états d’âme et ont continué à servir les passagers derrière moi. Et les passagers devant moi mangeaient et ceux de deux, voire de trois rangées derrière moi mangeaient, tandis que mon fils et moi nous attendions sans doute pour la seule raison que je n’étais pas habillé comme un blanc. Il a fallu un steward honnête qui passait par là par hasard pour que l’anomalie soit détectée et réparée. Ainsi je n’avais pas été vu par ces deux commères vicieuses malgré tout mon attirail vestimentaire qui sautait pourtant aux yeux.

Ce rêve, cher ami, comme tu peux t’en rendre compte, est la réplique onirique d’un incident que tu as vécue en vrai sur un vol Air France l’année dernière. Il est plein d’enseignement, n’est-ce pas ? Le racisme –notamment dans sa version antinégrite –c’est aussi l’art de faire du visible un invisible, du noir un être transparent. Dans mon rêve, j’en souriais de dégoût et de pitié. Le seul fait que tu te fusses permis de paraître toi-même t’a fait ranger, à l’instar de ce que j’ai subi dans mon rêve, dans la catégorie des inexistants, des rejetés, de celui qu’on ne veut pas approcher, d’un laissé pour compte, un relégué, un abandonné au hasard de la bienfaisance aléatoire.

Rêve ou réalité, cela est propre à la culture occidentale, comme le prouve l’histoire. Qu’est-ce que c’est que la colonisation et son volet assimilationniste sinon le mot d’ordre « cachez-moi cet autre inconnu que je ne saurais voir » ? Un homme ne peut qu’être blanc et à défaut de l’être par la nature, il doit l’être par la culture : il doit s’habiller comme un Blanc, et parler la langue du Blanc. Et puis il y a aussi le fait que les Blancs n’aiment avoir affaire qu’aux gens dont ils sont assurés à l’avance qu’ils sont inconscients : inconscients d’eux-mêmes, et inconscients de l’ordre des choses. Toute personne non blanche qui trahit le fait qu’il est conscient de lui-même et de l’ordre des choses est tout de suite combattue, rejetée, éliminée, écrasée.
Je dis « combattue », certes tout dépend de l’échelle où on se situe. Dans ton cas, en t’étant vêtu ostensiblement en Béninois là où la quasi-totalité des passagers africains s’étaient joyeusement travestie en Blancs, tu avais, comme dans mon rêve, attiré la foudre du rejet et son jeu de petit racisme mesquin. Mais la conscience individuelle assumée n’est pas dans sa réalité comme dans ses conséquences à la même échelle que la conscience politique assumée.
Ainsi, le sort d’un Gbagbo ou d’un Kadhafi est là pour nous convaincre que le risque encouru peut en être mortel. Mort politique pour l’un, mort biologique pour l’autre, selon les intérêts et la mesure dans laquelle la conscience assumée est considérée comme une menace pour le Blanc.

Bref, mon Cher Pancrace, en ce qui me concerne, il ne s’agissait que d’un rêve et, comme le disait le poète français Robert Desnos, s’il faut une place pour les rêves il faut aussi mettre les rêves à leur place.

Cela permet de mieux discerner les intrigues de l’état de veille. Ainsi, dans l’avion réel qui de Lagos m’amenait à Paris via Londres, J’ai pensé que dans l’agitation médiatico-politique incongrue du 3ème mandat organisée exprès pour anticiper l’impunité de Yayi Boni après 2016, — en effet, quel héros de la démocratie ne fera-t-on pas de ce criminel quand il aura quitté le pouvoir comme l’exige la constitution ! — j’ai pensé, dis-je, à l’insinuation de Joas pensant à Attali : « Le bonheur des méchants, comme un torrent s’écoule.» Et j’ai prié Dieu pour que ce torrent charrie dans le même mouvement, la triste République des CON

Je suis persuadé qu’en toute amitié tu me rejoindras dans mes prières, à défaut de te risquer sur les chemins parfois escarpés de mon monde intérieur.

A très bientôt

Binason Avèkes

Part 6

   

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