Talon et Ouattara, Même Pipe Même Tabac ? Pas si sûr, Cher Gbagbo

Pourquoi Talon s’affiche dans l’écurie de la Françafrique avec un zèle subtil et borné ? 

L’autre jour, quelle honte d’entendre l’extrait d’une déclaration de Laurent Gbagbo disant : “Alassane et Talon, on les connaît ces deux-là, dans l’Afrique, ici.” 

Le fait qu’on puisse mettre en cette catégorie un président du Bénin a été pour moi une source de honte. Pourquoi ? Parce que le Bénin, c’est Béhanzin, c’est Bio Guèra, c’est Kaba, c’est Kpoyinzoun ; mais le Bénin c’est aussi Kérékou, c’est aussi Soglo.  

Tous ces hommes ont brillé par leur esprit de résistance à la conquête coloniale, ou leur sacrifice contre le colonialisme ou leur refus du néocolonialisme. 

Et, lorsqu’on en vient à classer le président du Bénin dans la même catégorie qu’un déchet historique comme Ouattara, ça fait vraiment honte. En l’occurrence, comme il s’agit de Talon, on se dit que cette catégorisation est fortuite et malheureuse. 

En effet, en 2016, Talon était opposé à Zinsou dans la présidentielle. On se retrouvait dans un cas de figure pour le moins ironique, où, celui qui était le plus Béninois (Pour autant qu’on puisse être moins béninois) était affublé d’un patronyme français et celui qui était le plus français, affublé d’un patronyme béninois. Un véritable micmac de l’histoire dans le piège duquel il ne fallait pas tomber.

Les Béninois à juste titre, dans leur grande majorité, ont tranché sur la base de la réalité. Ils pensaient avoir élu un vrai président béninois — qui, comme le disait Albert Tévoédjrè, par contraste à son adversaire, connaissait notre culture, savait parler nos langues, ou tout au moins l’une des plus importantes parlées dans le pays. Un Président qui connaissait ses concitoyens, ce qui est une condition banale et indispensable pour être le président dans un pays. Le seul fait d’être national d’un pays ne suffit pas pour présider aux destinées du pays : le culturel et le sociologique comptent tout autant, sinon plus que le national ou le légal.

Pour l’emporter sur son adversaire, Talon s’est arc-bouté sur (voire surjoué) la posture du Béninois authentique opposé à un Béninois dont l’authenticité serait sujette à caution. Il a joué à fond sur l’image du défenseur des valeurs nationales, l’image du patriote opposé à la mainmise de la France qu’était censé représenter son adversaire.  Une fois élu, Talon a accompagné cette posture médiatiquement, en donnant un écho inespéré à une représentation théâtrale de l’œuvre de Jean Pliya, “Kondo le Requin”, qui met en scène les derniers moments de l’héroïque résistance de Béhanzin à la conquête du Dahomey. 

Bref, nous étions invités à penser que le nouveau président élu était l’émule de Béhanzin, un résistant à la néo-colonisation, un patriote qui est soucieux de l’indépendance réelle de son pays et, au-delà, de l’Afrique tout entière. Mais, très vite, beaucoup d’options prises au nom de l’idéologie de la bonne gestion et sur fond d’un discours parfois choquant, sont venues  bémoliser sinon ternir cet élan ; comme celle stigmatisant le désert de compétences que serait le Bénin. Toutes ces options ont vite fait de déciller les yeux aux candides et autres naïfs invétérés, aussi bien dans l’opinion que dans la classe politique nationale. Au nom de ce désert de compétences, sur le plan sécuritaire, sa garde présidentielle a été confiée aux Rwandais. L’Aéroport de Cotonou est dirigé par un Blanc, la SBEE, le Port Autonome de Cotonou sont confiés à des étrangers, sans autre forme de procès et d’une manière dont l’autoritarisme sert de masque à la violation sans états d’âme de la sensibilité nationale passée en pertes et profits de l’idéologie de la bonne gestion. 

Le systématisme et le mépris de la priorité nationale avec lesquels Monsieur Talon snobe les cadres nationaux en leur préférant les expatriés comme si ceux-là étaient nuls et ceux-ci des héros d’une gestion promise au succès, ce systématisme et cette arrogance aveugles sont révélateurs à la fois de son autoritarisme et d’une forme de complexe des expatriés : toutes choses qui expliquent en grande partie le fait que Talon soit porté à jouer les béni-oui-oui de la France dans les actions et opérations néocoloniales de celle-ci. 

Puisque celui qui, les yeux fermés, préférerait volontiers un Français à un Béninois pour diriger les sociétés béninoises au nom de l’idéologie de la bonne gestion, de la même façon et toujours mû par le même complexe d’infériorité, est prêt à choisir les intérêts de la France contre ceux du Bénin, du Niger ou de l’Afrique en général. Cette logique, Psychologique et idéologique — le mythe de la bonne gestion d’une part et le complexe d’infériorité d’autre part.– explique en partie pourquoi Talon obéit aveuglement et sans nuance à la volonté française de punir le Niger, quitte à punir les Béninois eux-mêmes. En cela, Talon serait plus proche de Tofa que de Béhanzin.

Mais cette explication n’épuise pas les raisons de ce parti-pris néocolonial et servile de Talon qui lui vaut d’être honteusement placé dans la même catégorie qu’un rebut de l’histoire comme Ouattara– catégorisation qui, quoi qu’on dise, paraît imméritée. 

Quelques mois après son élection en 2016, dans une interview au journal Le Monde Afrique, Talon fait sur le mode de la boutade, un aveu laissant entendre que son action politique est d’abord et avant tout orientée dans son intérêt personnel. Cette boutade est à l’évidence une façon de dire vrai pour avoir l’air de banaliser ou d’euphémiser un parti pris, une éthique et une motivation qui, dans le fond, sont inacceptables, voire scandaleux et condamnés par l’histoire : le fait que l’homme politique arrive au pouvoir pour se servir lui-même au lieu de servir le peuple. 

Talon est un homme d’affaires qui a continué à être un homme d’affaires malgré sa fonction présidentielle. Tout le monde connaît son histoire, notamment les conditions personnelles, judiciaires et politiques qui ont prévalu à son accession au pouvoir. Dans son adversité avec Yayi Boni, ses affaires, qu’il voulait excessivement grandes, ont été dangereusement laminées par son prédécesseur, dont il était l’ami et le mentor. C’est pour reconstruire ses affaires, les remettre sur pied et mieux s’offrir tout ce que Yayi Boni a refusé de lui concéder que Talon a décidé d’être président. Constatant que le rôle de marionnettiste des politiques qu’il a joué derrière le rideau pendant plus de deux décennies n’était pas concluant, il a acquis la conviction qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. C’est pour cela que Talon est devenu président de la République : pour se servir lui-même, s’offrir tout ce qu’il désirait et qui faisait problème. Quitte à maquiller, payer ou justifier cet accaparement du bien public par un discours de bonne gestion ou de réalisation infrastructurelle trompeur : trompeur parce que chacun sait que le peuple ne se nourrit pas d’infrastructures et d’au fraîche ; trompeur aussi dans la mesure où ce parti pris démagogique laisse intacte l’éternelle question du bien-être social, de la vie chère, de la faim qui tenaille les populations, de l’injustice sociale subie par une majorité de laissés pour compte au profit d’une poignée de nantis. 

Une fois que Talon a redonné vie à ses affaires raccourcies par Yayi, une fois qu’il les a dopées, il faut maintenant les pérenniser, les mettre à l’abri des aléas politiques du futur. Comment résoudre cette équation politique lorsque la violence de son autoritarisme lui vaut une quantité impressionnante d’opposants — la plupart exilés ou emprisonnés ? Comment assurer sur le long terme cette pérennisation de ses affaires lorsque le temps politique est négligeable devant le temps historique ? 

C’est là où pointe la psychologie de l’homme qui, volontiers, préfère les autres et notamment les Blancs à ses propres concitoyens. Talon qui, dans un discours à des hommes d’affaires français, a excipé de son patronyme dont il n’était pas peu fier de la résonance bien française, fier d’être francophone, la seule langue internationale, dit-il, qu’il parle,  qui n’est pas avare de compliments à l’égard de la culture française. Bref, cet homme a trouvé dans la France le moteur auquel il pense arrimer la barque de ses affaires face aux flots tumultueux de l’histoire. 

En choisissant ostensiblement son camp dans la lutte néocoloniale que la France mène à l’Afrique, en obéissant à ses dirigeants, le doigt sur la couture du pantalon, en y ajoutant la dimension émotionnelle d’une sensibilité à la culture ou tout au moins à l’histoire française, Talon fait le pari de trouver dans la France et en France un bon assureur à la pérennisation de ses affaires. 

 En homme pragmatique, Talon fait le constat que les Français ont la haute main sur la domination coloniale de l’Afrique. Il fait le pari que cette domination perdurera et a de beaux jours devant elle. Dans ces conditions, la France aura toujours son mot à dire – et tout doit être fait pour cela – dans la vie politique intérieure des États africains Un raisonnement aussi rétrograde qu’égocentrique  mais qui a le mérite de la cohérence psychologique et idéologique. La France pense-t-il, ne laissera jamais tomber, ceux qui ont choisi d’être à ses côtés, et qui lui obéissent obstinément, servilement, et fermement. Un raisonnement à courte vue, lorsque l’on considère le sort réservé aux Bongo, aux Sassou Nguesso et autres Obiang Nguema aujourd’hui.

Au total, la catégorisation lapidaire suggérée par Laurent Gbagbo semble pertinente quoique malheureuse. Elle semble pertinente dans la mesure où les deux hommes, à l’instar d’autres comme Macky Sall, ont fait le choix de prendre place dans l’écurie du néocolonialisme français. Toutefois, dans la mesure où c’est le Niger qui permet de révéler la position de Talon,  il ne faut pas oublier que le Bénin est le seul pays francophone à façade maritime politiquement disponible ayant des frontières avec le Niger. La côte d’Ivoire de Ouattara n’a pas de frontière avec le Niger, et Monsieur Ouattara n’a certainement pas eu besoin des pressions françaises pour déployer spontanément son zèle congénital habituel au service des Blancs, alors que Talon a subi des pressions en raison de la position stratégique du Bénin par rapport au Niger. Dès lors, la position de Talon semble plus opportuniste, plus égoïste et plus personnelle que celle de Ouattara  qui est historiquement mercenaire, congénitalement amorale, passionnément antiafricaine et compulsivement aliénée. C’est en cela que la comparaison ou le rapprochement entre les deux hommes sous l’angle de la servilité à la France est malheureuse.

Adenifuja Bolaji