Les Tinubu : de Ghézo à Talon

Les médias Béninois progouvernementaux ont présenté la présence du Président béninois Patrice Talon à la cérémonie d’inauguration du nouveau président nigérian, Bola Ahmed Tinubu comme un exploit, un geste triomphal digne d’intérêt. Et pourtant, en principe, il ne devrait y avoir rien d’original dans ce geste normal entre deux pays frères, le Bénin et le Nigeria, quand on sait que des présidents d’autres pays plus éloignés ont honoré de leur présence cette cérémonie. C’est que les relations de Talon avec ses homologues du Nigeria ne sentent pas la rose. Ce qui n’était pas le cas de ses prédécesseurs : Soglo, Kérékou et Yayi. Caprice d’homme d’affaires sourcilleux, qui craint pour ses propres affaires ? Hypothèse plausible, aggravée par une diplomatie à l’emporte-pièce, irrespectueuse de la hiérarchie des intérêts nationaux — le Ministre en charge étant plus soucieux de se faire décorer par la France que par un pays africain, fût-il un grand, un très grand voisin.

Mais espérons que les rapports du Bénin de Talon avec le Nigeria de Bola Tinubu ne seront pas à l’image de ceux du pays de Ghézo avec le pays d’une autre Tinubu qui contribua à mettre le célèbre roi dahoméen en échec. Efunroye Tinubu, telle est son nom, est une célèbre femme Yoruba du 19ème siècle. Elle a marqué son époque par son énergie et sa dynamique ascension dans les business juteux de la traite négrière et du trafic des armes. Elle fut aussi une patriote de premier plan qui résista aux Anglais, ce qui rétrospectivement lui valut absolution de tous ses péchés et réhabilitation comme figure héroïque digne de mémoire.

Avec l’arrivée d’un nouveau Tinubu de l’autre côté de nos frontières, gageons que la hache de guerre de l’aïeule est définitivement enterrée en dépit des mauvaises manières de la diplomatie béninoise.

Au fait, qui était cette Tinubu esclavagiste que les Yoruba ont élevée au rang d’une amazone et considèrent comme digne d’être célébrée ?

Efunroye Tinubu (vers 1810-1887), également connue sous le nom d’Efuntoroje Osuntinubu, était une puissante aristocrate, commerçante et marchande d’esclaves yoruba durant la période précoloniale et coloniale du Nigeria.

Tinubu a joué un rôle significatif dans la politique et l’économie de Lagos, sous les règnes des Obas (monarques) Adele, Dosunmu, Oluwole et Akitoye. Elle a épousé Oba Adele et a utilisé ses relations pour développer un réseau commercial prospère avec des marchands européens. Elle s’est engagée dans le commerce d’esclaves, ainsi que d’autres produits tels que le tabac, le sel, le coton, l’huile de palme, l’huile de noix de coco et les armes à feu. On estime qu’elle possédait plus de 360 esclaves personnels.

En violation d’un traité de 1852 avec la Grande-Bretagne interdisant la traite des esclaves à Lagos, Tinubu a continué à vendre des esclaves à des marchands brésiliens et européens. Cette activité a suscité des tensions avec les autorités britanniques et les marchands concurrents de Lagos.

Ses activités économiques et son contrôle commercial sur Lagos lui ont valu une position dominante, mais elles ont également suscité des conflits avec les fonctionnaires britanniques. Après avoir fomenté un complot infructueux pour évincer les Anglais e de Lagos, elle a été exilée à Abeokuta sous la pression des Britanniques.

Pendant son séjour à Abeokuta, Tinubu a apporté son soutien à la ville lors de sa guerre victorieuse contre le royaume du Dahomey en fournissant des munitions. En reconnaissance de sa contribution, elle a reçu le titre d’Iyalode des Egbas.

Efunroye Tinubu est décédée à Abeokuta en 1887. Elle est considérée comme une figure historique importante et est honorée par une statue à Lagos sur la célèbre place Tinubu, ainsi qu’à Abeokuta, au Nigeria.

Pendant son exil à Abeokuta, Efunroye Tinubu a joué un rôle significatif dans la guerre entre Abeokuta et le royaume du Dahomey. Cette guerre, connue sous le nom de guerre d’Egba-Dahomey, s’est déroulée de 1863 à 1864.

Le royaume du Dahomey, dirigé par le roi Ghezo, était un puissant État voisin qui cherchait à étendre son territoire et à asservir les communautés environnantes. Lorsque le Dahomey a attaqué Abeokuta en 1863, les habitants de la ville ont dû faire face à une grave menace.

C’est à ce moment crucial que Tinubu est intervenue pour soutenir Abeokuta. Grâce à ses vastes ressources et à sa connaissance des affaires, elle a fourni un soutien financier, logistique et militaire à la ville assiégée. Elle a utilisé son réseau commercial pour approvisionner Abeokuta en armes et en munitions, aidant ainsi les défenseurs à résister aux attaques du Dahomey.

En plus de son soutien matériel, Tinubu a également mobilisé d’autres communautés et chefs yorubas pour se joindre à la résistance contre le Dahomey. Elle a joué un rôle diplomatique crucial en négociant des alliances avec d’autres groupes ethniques et en encourageant la solidarité entre eux pour faire front commun contre l’ennemi commun.

Grâce à la résistance acharnée d’Abeokuta et à l’aide de Tinubu, le royaume du Dahomey a finalement été repoussé avec succès. La guerre s’est terminée en 1864, et Abeokuta est sortie victorieuse, préservant ainsi son indépendance et sa souveraineté.

L’engagement de Tinubu dans la guerre d’Egba-Dahomey a renforcé sa réputation en tant que femme puissante et stratège politique. Son soutien décisif à Abeokuta a été reconnu et salué, ce qui lui a valu le titre de chefferie du Iyalode des Egbas.

Aujourd’hui, l’héritage d’Efunroye Tinubu dans la guerre d’Egba-Dahomey est rappelé et célébré, non seulement pour son rôle crucial dans la défense d’Abeokuta, mais aussi pour son affirmation de l’autonomie et de la résistance face à l’expansionnisme du royaume du Dahomey. Sa participation à cette guerre témoigne de sa détermination et de sa volonté de défendre les intérêts de son peuple et de sa culture.

Adenifuja Bolaji

3 commentaires

  1. bonjour

    J’ai lu le texte avec un immense plaisir. Il est écrit dans un style agréable et saisissable. Cependant, en me référant à mes bribes de connaissances historiques, je constate qu’il y a un anachronisme . En effet, le Roi Ghézo régna de 1818 à 1858 mais la guerre Egba-Dahomey fut conduite de 1863 à 1864. Ce qui pour moi signifie que le Roi Ghézo était déjà  » parti à ALLADA ».

    Agréable journée
    J-N. E

    • La guerre contre les Egba a connu plusieurs épisodes. Ghézo qui en est à l’initiative n’a pas connu la suite ; il paraît même qu’il serait mort sur le champ de bataille et que ce fait aurait été occulté.

  2. En 1851, Ghezo organisa une attaque directe contre la ville d’Abeokuta, mais elle ne réussit pas. Ghezo a suspendu les opérations militaires à grande échelle lorsqu’il a mis fin à la traite des esclaves (1852). Cependant, en 1858, une faction conservatrice a fait pression sur Ghezo pour qu’il recommence des opérations militaires à grande échelle avec un assaut sur Abeokuta à suivre. Il est possible que cette nouvelle guerre entre les deux États ait conduit à la mort de Ghezo, certains récits indiquant qu’Abeokuta a payé pour un assassinat de Ghezo (d’autres récits ne sont pas du même avis…).

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