1er Août: Si le Bénin Était Indépendant

1er août, Porto-Novo, Cérémonie d’indépendance du Dahomey

Introduction

On dit que le Bénin est indépendant. On l’a écrit dans les constitutions, chanté dans les hymnes, peint sur les murs de nos écoles. Le 1er août, chaque année, les drapeaux flottent et les défilés s’alignent. Mais au fond, que fête-t-on ? Une liberté conquise ou une illusion soigneusement entretenue ? Et à quelles fins perfides  ?

L’indépendance ne se proclame pas, elle se prouve. Et le Bénin, depuis 1960, n’a cessé de donner des preuves du contraire. Ce texte est un réquisitoire. Une série de coups de marteau contre le vernis d’autonomie. Une chronique amère de la soumission, de la dépendance et des trahisons.


Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?


Si le Bénin était indépendant, son vice-président n’aurait pas été domicilié à Paris comme ambassadeur.
En 1960, Sourou Migan Apithy, vice-président de la République du Dahomey, présentait ses lettres de créance au général de Gaulle en tant qu’ambassadeur en France.
Quelle étrange république que celle où le numéro deux de l’exécutif joue les diplomates auprès de l’ancien maître !
Confusion des fonctions, mélange des genres, vassalité symbolique : tout y est.
La souveraineté ne s’exporte pas, elle s’exerce.


Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?


Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, sa présidence ne serait pas située à côté du centre culturel de son ancien colon.
Dans quelle capitale digne de ce nom le palais présidentiel se trouve-t-il à quelques mètres d’une institution culturelle étrangère, vestige de l’ancienne domination ?
Et pas un instant Patrice Talon, architecte zélé du réaménagement urbain, n’a songé à corriger cette anomalie flagrante, visible comme le nez au milieu de la figure.
Cette cohabitation urbaine n’est pas un hasard. Elle traduit une confusion des espaces, une promiscuité embarrassante, une entorse symbolique à la souveraineté.
Un État véritablement libre isole son cœur régalien. Il ne l’expose pas aux regards familiers de l’ancien maître.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, ce n’est pas la langue du colon qui serait restée seule langue officielle.
Ce n’est pas le français qui aurait été imposé à l’école, à l’administration, à la justice, à la politique.
Et ce ne sont pas les langues nationales, piliers de l’imaginaire populaire, qui auraient été reléguées au folklore et à la honte.
Car il n’y a pas d’émancipation réelle sans émancipation symbolique.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, Paris ne se serait pas permis d’imposer Hubert Maga comme premier président, instrumentalisant ainsi le pouvoir politique à ses propres fins.
La « Rue Monsieur » a orchestré une stratégie de division savamment calculée : encourager le Nord dans un esprit d’identité régionaliste cohésive, en faire un bastion loyal, et, simultanément, attiser dans le Sud une passion tribaliste aveugle, fragmentant l’unité régionale par des rivalités ethniques.
La conséquence fut que, malgré sa minorité démographique et sociologique, le Nord s’est imposé politiquement sur le Sud majoritaire, confisquant ainsi le pouvoir au détriment de la majorité du peuple béninois.
Cette manipulation a étouffé toute véritable opposition et saboté la possibilité d’une nation unie et souveraine.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, il n’aurait pas accepté que le Conseil de l’Entente contrôle ses finances et surveille ses politiques.
Créé sous l’impulsion de la France, ce Conseil siégeait à Abidjan mais décidait à Cotonou.
Quand ta bourse est gérée à l’extérieur, ta souveraineté est en location.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, ce ne sont pas d’anciens colons qui seraient revenus en masse comme « coopérants techniques » dans ses ministères.
Certains touchaient deux salaires : un du Trésor français, un de l’État béninois.
La coopération quand elle humilie, n’est qu’un néocolonialisme en costume-cravate

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, il n’y aurait pas eu en dix ans plus de dix coups d’État, tous plus ou moins télécommandés depuis les ambassades.
La valse des militaires n’a jamais dansé au rythme du peuple, mais à celui des intérêts étrangers.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, sa monnaie ne serait pas frappée à Paris et contrôlée par le Trésor français.
Le franc CFA, cette laisse monétaire, aurait été brisé depuis longtemps.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, Foccart n’aurait pas organisé les réseaux, placé ses hommes, surveillé les décisions, ou corrigé les discours.
Un conseiller de l’ombre payé par l’Élysée ne peut diriger la politique africaine d’un pays libre.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, ce n’est pas une prise de pouvoir militaire baptisée « Révolution populaire » qui aurait été le seul recours pour couper le cordon.
Et ce n’est pas parce qu’un président mettait des portraits de Lénine qu’il avait pour autant décolonisé les structures.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, il n’aurait pas dû quémander l’aide du FMI et de la Banque mondiale pour panser les plaies d’un État en faillite.
La Conférence nationale aurait été une réinvention souveraine, pas une reddition économique.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, il ne compterait pas sur les ambassades étrangères pour garantir la transparence de ses élections.
Une démocratie qui attend le regard approbateur de puissances extérieures n’est pas souveraine, elle est sous tutelle.
Le bulletin de vote est une arme de souveraineté, pas un gadget de coopération diplomatique.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, ce n’est pas une réforme constitutionnelle à huis clos qui aurait redéfini les équilibres institutionnels.
Et ce n’est pas un pouvoir concentré entre les mains d’un seul homme qui aurait incarné la modernité.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, ses terres n’auraient pas été bradées à des multinationales sous couvert d’agro-business.
La souveraineté commence là où on choisit à qui l’on vend ses racines.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, la jeunesse n’aurait pas à fuir vers l’Europe faute d’horizon.
Et ce n’est pas la naturalisation française qui serait encore vue comme une promotion sociale.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était vraiment indépendant, ce ne serait pas aux puissances occidentales — France ou États-Unis — de décider qui mérite d’être reconnu comme artiste, chanteur ou écrivain béninois.
Ses artistes et penseurs ne mendieraient pas les subventions de la Francophonie pour exister.
Une culture qui dépend de circuits étrangers pour sa légitimité est condamnée à la dépendance symbolique, une dépendance qui nie toute souveraineté culturelle.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?

Artéfacts restitués de l’ancien royaume du Dahomey, exposés lors d’une cérémonie au Bénin après leur retour de France

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, ce n’est pas à Paris que ses dirigeants iraient pleurer Charly pendant que l’Afrique saigne.
Compatir au Nord et se taire au Sud, c’est renier son axe de dignité.

Indépendance, vous avez dit le Bénin indépendant ?
Si le Bénin était indépendant, il n’aurait pas accepté de fermer ses frontières avec le Niger à la plus grande satisfaction de la France. Et ce n’est pas un ordre de l’Élysée, travesti en décision de la CEDEAO, qui aurait suffi à renier l’unité ouest-africaine.
La frontière qu’on ferme contre son frère et voisin pour obéir à l’étranger est une trahison de soi-même..


Le Bénin n’est pas indépendant.
C’est une insulte à l’intelligence du peuple béninois que de le lui faire croire encore, et de se livrer chaque année à ces simagrées de commémoration, entre parades militaires et discours creux. À l’instar de nombreux pays africains — et plus encore de ceux de l’Afrique noire francophone — le Bénin n’est indépendant que de nom. Il est décoré d’indépendance comme un arbre mort de guirlandes, tout brillant à l’extérieur, mais pourri à l’intérieur.

L’indépendance proclamée en 1960 fut un simulacre orchestré par la puissance coloniale elle-même, qui n’a jamais réellement desserré son étreinte. Le Bénin est autonome sur le papier, mais sous influence dans les faits : influence linguistique, politique, militaire, économique, culturelle. À quoi bon hisser un drapeau si c’est pour continuer à chanter avec les mots d’autrui, penser sous la dictée de l’ancienne métropole, élire sous tutelle, parler sous condition, écrire pour être reconnu ailleurs ?

Ce texte est une convocation, une gifle, une alarme. Il ne s’agit pas de provoquer par le verbe, mais de réveiller par la vérité.
Car la vraie indépendance ne commence ni dans un décret ni dans une cérémonie. Elle commence le jour où l’on ose regarder en face l’imposture historique dont nous sommes les héritiers, et où l’on décide, enfin, de rompre avec elle.
Cesser de célébrer une liberté fictive, pour commencer à construire une souveraineté réelle — voilà le vrai défi. Il est moral, culturel, politique. Il est urgent. Il est notre génération.

Aminou Balogun

2 commentaires

  1. Bravo !!! Exhaustif ! Véridique ! Objectif !. RAS, à ajouter, à contester ni à retirer. Merci pour votre analyse et pour la beauté de la rédaction. J’en garderai copie de votre article dans mes fichiers enregistrés. Pour la postérité.

    • Merci infiniment pour votre retour si enthousiaste et touchant ! Je suis heureux que l’article vous ait parlé et que vous en conserviez une copie — c’est là le plus bel encouragement qu’on puisse recevoir. L’idée de contribuer, même modestement, à nourrir la mémoire collective et à éclairer notre histoire commune me tient profondément à cœur. N’hésitez pas à le partager autour de vous, à en discuter, à le faire vivre ! Encore merci pour votre lecture attentive et vos mots qui donnent sens à l’écriture.

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