
L’expression « prendre ses vessies pour des lanternes » va comme un gant à Talon au Bénin actuellement. Quand on est élu démocratiquement, n’est-ce pas aberrant de devenir Dictateur sans autre forme de procès ? S’il voulait être Dictateur, il n’avait qu’à faire un putsch et prendre le pouvoir par les armes. En plus, si tel est réellement le cas, son paternalisme est absurde. Il veut le bien des Béninois ? Admettons, mais pourquoi au mépris de leur avis ?
On sait que le système politique Béninois est pourri jusqu’au trognon. Des gens comme Robert Dossou qui critiquent, des gens comme Joseph Gnonlonfoun qui soutiennent le régime, des gens comme Yayi Boni et Soglo, qui « résistent » aujourd’hui, etc. bref, tout ce beau monde a sa part de responsabilité dans la culture du profit et de l’enrichissement personnels qui a conduit le système politique béninois à terre. Mais aujourd’hui, même si on concède à Talon la bonne volonté de celui qui veut redresser et construire, même si on considère que le désordre économique et social qui prévaut dans le pays et la misère qui devient de plus en plus sévère au quotidien ne sont que l’étape transitoire d’un grand chantier de reconstruction pour lequel la nation toute entière doit serrer la ceinture, force est de constater d’une part que tout le monde ne serre pas la ceinture, et d’autre part que ce qui a été endommagé sur des décennies ne peut pas être réparé en quelques mois. Tout changement bien intentionné ne peut se faire que graduellement. Dans ce cas, pourquoi Talon veut-il coûte que coûte s’imposer ? Pourquoi préfère-t-il sacrifier la démocratie sur l’autel des élections à gagner à tout prix ? Pourquoi offre-t-il le triste spectacle d’un régime pinochetiste aux abois alors que lui-même est arrivé au pouvoir démocratiquement ? Quelle est la rationalité de cette dictature gratuite ? Quand jadis les Pinochet en Argentine, les Buhari au Nigeria, les Kérékou au Bénin faisaient la dictature, c’était suite à des coups d’État qu’ils ont faits ; ce n’étaient pas des dictatures gratuites. Aujourd’hui, plus de 70% des Béninois pâtissent de sa gouvernance ou sont contre Talon et pourtant il prétend vouloir leur bien à tout prix, y compris en sortant des chars et en tirant des gaz lacrymogènes et, qui sait demain, des balles sur des gens dont le seul crime est d’exiger d’être représentés dans les urnes.
Depuis plusieurs années, Talon force la société béninoise à vivre au rythme nerveusement éprouvant de drames et de tensions permanents. Dans les dernières années de Yayi, c’était l’affaire d’empoisonnement et de coup d’État qui a tenu le pays en haleine et fait les choux gras de nos frères africains et du monde extérieur. C’est encore à cause de lui qu’en 2016, le pays de Béhanzin a été confronté à l’avanie du choix piégé entre un Français au nom béninois et un Béninois au nom français — tous deux, on l’accorde, Béninois quelque part. Et voilà que parvenu au pouvoir à l’issue de ce choix tragique, incontinent, il relance la machine de la tension et du drame, et pousse le pays tout entier dans l’agitation. Tous ceux qui, à court ou long terme, peuvent inquiéter ou faire trembler le bel édifice de ses accaparements du bien public qui lui tiennent lieu d’affaires deviennent ses ennemis politiques, et alors il n’est pas à court de prétexte pour les jeter en prison ou les pousser à l’exil. Au nom de l’assainissement des villes et de la libération des espaces publics, il a cassé sans préavis les abris des pauvres gens et des petits revendeurs qui constituent le maillon de la chaine de distribution de l’économie informelle du pays. Et non content de tous ces excès et violences contre le peuple, voilà qu’il pousse le bouchon trop loin en voulant organiser des élections sans les partis de l’opposition, alors que dans l’état actuel des choses, au vu de son impopularité, ceux–ci ne représentent pas moins de 70% de la population !
Et la question simple qu’on se pose sincèrement, c’est de savoir si c’est du haut de la montagne de son amour patriotique pour le Bénin que Talon veut mettre le pays à feu et à sang, ou bien, des bas-fonds obscurs de cette raison personnelle qui a toujours marqué sa trajectoire scabreuse dans la vie publique béninoise depuis plusieurs décennies ?
Aminou Balogun
