
L’autre jour, au hasard d’une conversation téléphonique, j’en suis arrivé à discuter avec un ami ivoirien qui en habitait un du mode d’attribution des logements HLM. Et je lui disais que souvent, il arrivait qu’un bénéficiaire se retrouvât dans un situation non actualisée, ce qui contrevient à l’idée sociale qui est au principe de l’institution de ce type de logement. Ce que j’appelle ainsi – et j’essayais de le lui expliquer difficilement, tant il personnalisait la discussion et tenait un discours subjectif d’arrière garde teinté de passion, m’entrecoupant sans arrêt avec des arguments incohérents lancés à tort et à travers, comme une armée surprise par l’ennemi et incapable de maîtriser le mouvement de panique de ses troupes – ce que j’appelle ainsi, dis-je, c’est le fait par exemple qu’un bénéficiaire qui avait obtenu un appartement de 4 pièces alors qu’il avait 35 ans et se trouvait à la tête d’une famille de 5 membres dont 3 enfants, pouvait continuer à jouir de la même attribution de façon inchangée 30 ans plus tard, lorsque le dernier de ses enfants était déjà marié et ne vivait plus sous son toit, et qu’éventuellement il était lui-même entretemps devenu veuf ou divorcé.
Comment continuer d’attribuer un appartement de 4 pièces à un homme vivant seul alors que des familles de 3 enfants voire plus vivent dans des studios ou des deux-pièces, demandais-je ? Mais mon ami ne voulait rien entendre de ma question. A tue-tête, il me disait qu’aucune loi n’empêchait cette jouissance, et qu’au surplus les pauvres étant insolvables, les HLM ont bien compris qu’ils avaient intérêt, pour un appartement de 4 pièces, à ne pas substituer une famille nombreuse, pauvre et insolvable à un locataire vivant seul mais qui s’est toujours montré régulier dans le paiement de son loyer. J’ai beau lui dire qu’on ne peut inférer de ce que quelqu’un est de revenu modeste qu’il serait du même coup insolvable, quant à ses loyers, dès lors qu’il avait été admis sur la base de revenus bien compris par l’organisme attributeur. A un moment donné, nous étions même tombés d’accord lui et moi, en prenant l’exemple de l’une de ses ex-maîtresses. Celle-ci, bien qu’ayant un revenu confortable s’était retrouvée dans une situation d’insolvabilité avec plus de six mois de loyers impayés. Et nous en avons conclu que, bien souvent, l’irrégularité dans la quittance des loyers était une question plus éthique qu’économique ; qu’à revenus égaux, deux personnes pouvaient sous ce rapport avoir des comportements sinon des attitudes diamétralement opposés. Malgré cet intermède d’accord, rien n’y fit, la position d’arrière garde malheureusement très personnalisée de mon ami ne faiblit pas.
Je lui dis qu’en toute logique sociale, et suivant en cela un fonctionnement rationnel, les HLM devraient régulièrement procéder à une réactualisation de la situation de leurs locataires et réadapter en conséquence leurs offres, de façon à attribuer à chaque locataire le logement qui convient le mieux à sa situation.
Et mon ami,– qui personnalisait à outrance la discussion – piqué à vif, me répondit : « Alors, ce sera la guerre ! »
La guerre ! Rien que ça ! Cela a fait tilt dans ma tête… La guerre parce qu’on propose de discuter des conditions d’attribution plus juste des logements prenant en compte les besoins réels des demandeurs, et adapter l’offre en conséquence. Je me suis souvenu de la manière dont, il y a une dizaine d’années, cet ami, originaire du Nord de la Côte d’Ivoire, se faisait un ardent soutien de Ouattara, et pourfendait les excès et les discriminations régionalistes supposés de Gbagbo. Belliciste passionné, il parlait des rebelles de Soro Guillaume soutenus en sous-main par la France en termes de « nos soldats ». Il disait notamment « Nos Soldats ont pris San-Pedro » ; « Nos soldats veulent prendre Abidjan, mais la France ne veut pas », etc…
Soit dit en passant, le même ami, qui guigne un poste politique, aujourd’hui est un critique virulent de Ouattara et un militant du parti de Soro Guillaume, qu’il rêve de voir accéder au pouvoir présidentiel.
La réflexion que m’inspire cet échange qui a dérivé, c’est la cause de la guerre chez les Africains, même des gens qui comme mon ami – ingénieur – sont instruits ; comment l’Africain, pour un oui ou pour un non, refusant la simple idée d’une justice qui le lèse, est-il si prompt à entrer en guerre ? Dès que son intérêt égoïste est égratigné ou mis en balance, l’Africain ne veut pas voir pourquoi ; sans crier gare, il prend les armes. Il les prend d’autant plus que, contre les richesses de son pays hypothéquées, un marchand d’armes sans foi ni loi lui a fait les yeux doux et promis la victoire en un éclair.
Comme il le dit lui-même, aujourd’hui, mon ami et les siens sont prêts à reprendre les armes contre Ouattara, s’il venait à celui-ci, l’idée qui trotte dans la tête de tous les présidents africains, la fantaisie de vouloir se perpétuer au pouvoir… Une guerre qu’on présentera alors sous les dehors propres de la lutte pour la démocratie, mais qui, si l’on gratte un peu, révélera bien ses motivations égoïstes et personnelles…
Ahoponu Bernard
