
Chronique d’un duel sans fin entre deux faiseurs de marionnettes politiques
Planter un caïman dans le jardin de son voisin : voilà une image qui, en fongbé trouve un écho parfait dans l’expression “yè ní do lo nù mé” ; ce qui peut être rendu en rébus par « planter un caïman à quelqu’un». Une expression qui évoque l’art de parler sans dire mais avec des gestes. Dans ses choix discrets quoique habilement formalisés, Yayi Boni manie cet art avec dextérité.
Le retour du stratège
Le dernier épisode en date – la nomination du candidat des LD à la prochaine présidentielle – a tout du caïman que Yayi aurait planté dans le jardin politique de Patrice Talon.
Sous des dehors anodins, l’acte est hautement symbolique. Il imite les grands traits de la démarche de Talon : un choix personnel, vertical, habillé du discours de la jeunesse et du renouveau. Mais cette fois, le coup de pinceau est moins assuré, moins consensuel.
Car la désignation du « jeune » Renaud Agbodjo provoque des remous jusque dans le camp des LD, où beaucoup ont vu dans cette nomination un diktat camouflé, une initiative solitaire marquée du sceau de Yayi.
Pourtant, l’objectif est limpide : produire, à l’image du « dauphin » de Talon, un visage neuf, sans passé politique, malléable, médiatiquement présentable.
Renaud Agbodjo apparaît ainsi comme un candidat de la dernière heure, surgissant du néant pour incarner une cause que d’autres ont définie à sa place. Et ce n’est pas pour plaire aux anciens crocodiles qui s’échauffaient depuis belle lurette sur le starting-block…
Un Robin des Bois béninois, diront certains, exploitant à bon escient le fossé social que le régime Talon a creusé au fil des ans. Mais au fond, l’homme manque d’épaisseur, de vécu politique, de charisme véritable — tout comme Wadagni, l’autre « jeune » projeté sur le devant de la scène, ministre brillant mais sans consistance politique propre.
Les marionnettes et leurs maîtres
La comparaison entre Wadagni et Agbodjo éclaire le fond du problème : le rapport des deux hommes à leurs parrains respectifs.
Si Wadagni n’a aucun lien familial ou tribal avec Talon, Renaud Agbodjo, lui, porte les marques d’une proximité lignagère et communautaire avec Yayi Boni.
Et ceux qui ont observé le règne de ce dernier savent combien népotisme et tribalisme furent ses péchés mignons — les deux piliers invisibles de son mode de gouvernement.
Yayi semble donc rejouer la carte qu’il connaît le mieux : celle de la reproduction politique par procuration.
Le message implicite est clair :
« Tu veux te maintenir au pouvoir par marionnette interposée ? Eh bien moi aussi, je reviendrai au pouvoir par marionnette interposée. »
Un duel qui étouffe la nation
Mais au-delà du jeu d’échecs entre anciens présidents, une question plus grave se pose : jusqu’à quand le Bénin restera-t-il prisonnier de ce duel obsessionnel ?
Depuis plus de vingt ans, la vie politique béninoise tourne autour de ce face-à-face figé entre Talon et Yayi — deux hommes que tout oppose et que tout unit dans une même volonté d’hégémonie.
Deux hommes qui, chacun à leur manière, ont fini par confondre le destin national avec leurs querelles personnelles.
Cette guerre froide, sous ses airs de rivalité idéologique, n’a rien d’un affrontement de visions.
Elle n’est qu’un duel de vanités, nourri par des intérêts personnels, des calculs matériels et le goût du pouvoir pour le pouvoir.
Derrière les discours sur la souveraineté ou la démocratie, se cachent deux hommes mus par les mêmes appétits, les mêmes réflexes de domination, les mêmes fidélités extérieures.
Car Yayi comme Talon, chacun à sa manière, demeure un serviteur zélé de la France, un acteur appliqué du néocolonialisme économique et politique qui continue de dicter la cadence du pays.
Pendant qu’ils s’épient, se défient et se copient, le Bénin reste pris dans leur étau : une société maintenue dans la dépendance, où la relève politique ne se construit plus par conviction, mais se fabrique dans les laboratoires d’intérêts croisés, au gré des caprices de l’ancienne métropole et des ambitions personnelles de ses relais locaux.
Quand se lèvera le jour ?
Il faut donc oser poser la question que beaucoup chuchotent :
Quand le Bénin se libérera-t-il de ce duel stérile, de ce cauchemar bien-pensant où deux hommes rejouent sans fin la même pièce, changeant seulement les acteurs ?
Car si la démocratie béninoise veut respirer à nouveau, il faudra qu’un jour, le peuple décide de mettre fin à ce duel qui empêche la nation de respirer.
Aminou Balogun.
