
Dans son intervention au cours de la cérémonie marquant la remise par la France à l’État béninois de 26 objets d’art parmi des milliers pillés par l’Armée française après la conquête du Danxomè, Monsieur Talon, a évoqué en un détour sibyllin, la mémoire du personnage de Gɛdɛgbé, le célèbre devin de la cour royale. On pourrait voir dans cette évocation, un clin d’œil subliminal à la mémoire personnelle si chargée des deux côtés de sa famille. Du côté paternel, on s’y connaît fort en vente d’esclaves, et du côté maternel, le Gɛdɛgbé évoqué n’était nul autre qu’un aïeul.
Mais qui donc est ce personnage et pourquoi l’évocation de sa mémoire ne peut être considérée comme un cheveu sur la soupe de cette cérémonie ? La réponse est simple et fournie par Monsieur Talon : les choses que les Européens considèrent chez nous comme objets d’art, sont d’abord et avant tout des objets qui ont une fonction de médiation entre nous et nos ancêtres, entre nous et les esprits qui gouvernent notre monde. Or, au cœur de cette médiation se trouve le personnage du Bokɔnon ou du Babalawo. Voilà pourquoi l’évocation du nom de Gɛdɛgbé au-delà du clin d’œil personnel, revêt une importance capitale du point de vue institutionnel et mémoriel. Qui est donc le Bokɔnon Gɛdɛgbé ? Et d’où vient ce nom qui est aussi celui de l’aïeul de Monsieur Talon ? La parole est à l’illustre philosophe :
« Je naquis sous le règne d’Adanzan, ; Adanzan et Guézo n’étaient pas encore ensemble au palais.
C’est à Glèlè que je dois le nom de Gɛdɛgbé, qui est celui d’un de ses talisman². C’est parce que ce talisman « est sur ma tête » que je me nomme ainsi. Ce talisman du palais, ce bo de honmè, que le roi me donna à boire avait un double but : affermir la confiance du roi en moi, et me faire vivre longtemps. Personne d’autre que moi ne porte ce nom au Danxomè, même dans la famille royale.
Le nom que je portais autrefois est Tinubu, un nom nago ; on le donne à tous les enfants qui se présentent coiffés de plumes rouges de perroquet.
Mon investiture se déroula de la façon suivante. Je me rendis chez l’Aga-



Blanches, noires bigarrées, d’étoffes ordinaires ou précieuses. Je me rendais alors au Fagbasa du –palais et prenais une collation avec les Bokɔnon sous mes ordres ; il y avait un local pour moi et un pour eux.
Le roi recevait à l’Ajaralasa, entouré de quelques-unes de ses femmes. Lorsqu’il s’agissait d’une affaire importante, il les faisait sortir. A portée de voix se tenaient quelques messagères prêtes à aller chercher le ministre dont le roi avait besoin. Les ministres se trouvaient à l’akabasa, en un lieu réservé hors du palais. Si le roi avait besoin de moi, il m’envoyait une femme, la Daklo, messagère principale, et je me rendais auprès de lui.
Laissant derrière moi le portail, je pénétrais dans la grande cour déserte de Logodomè, au bout de laquelle la porte Logodohon ouvrait sur une autre cour ; là s’élevait l’Ajarala, , où le roi appelait ceux qui avaient audience, notamment les ministres et les chefs. J’étais une des très rares personnes qui pussent faire le tour derrière l’Ajarala, et pénétrer dans l’adorxo, la chambre même du roi. Personne n’y entrait, sinon le grand Bokɔnon, le chef des kpamègan, et certaines femmes..
Au temps de Glèlè, mon beau-frère, je m’y rendais bien souvent le matin. J’y avais toujours accès lorsque le roi était malade ou pour une affaire secrète. Le Migan et les autres chefs restaient dans l’Ajarala.
Lorsque le roi voulait dire quelque chose d’important à l’un des chefs qui faisaient antichambre, il donnait ordre aux femmes récadères d’aller l’appeler. Ce qu’elles faisaient en criant son nom suivi des mots : « Sè non yrɔ wé ! Sè non yrɔ wé !.. Sè t’appelle !…. Il fallait voir les messagères, et ceux qu’elles appelaient, courir ! Toutes criaient encore un nom dans la cour, quand celui qu’on cherchait était déjà prosterné devant le roi.
Cette formule était la même pour tout le monde, sauf pour le grand Bokɔnon. Le roi donnait l’ordre à voix basse à la messagère. Jamais on ne m’adressait la formule « Sè non yrɔ wé. On me disait : yrɔ wa, l’appel est


l’étendue d’un village, ses terres étaient immenses et innombrables ses enfants. Il n’avait nul besoin des cadeaux d’un Blanc !
Il se départit lentement de sa réserve, et chaque nouvel entretien éclairait pour ainsi dire malgré lui, la sensibilité de son intelligence. Ses paroles révélaient un sens politique durement meurtri par la décadence d’un peuple devenu sien, tantôt la sérénité de sa philosophie, tantôt ses préoccupations familiales..
Parfois, de vieux dignitaires, ruinés par la conquête, venaient près de lui réchauffer leur sang au souvenir du passé. Alors surgissaient devant nous une époque d’aventures et de splendeur, dont quarante-cinq années de deuil effaçaient les pires souillures.
Mais Gɛdɛgbé différait de ses visiteurs, soucieux de se retrouver eux-mêmes dans un passé qu’ils savaient abolis et satisfaits de ses vains rappels : s’inspirant de l’œuvre des anciens et jugeant avec pénétration le présent imposé par la conquête, il construisait le futur.
Doué au plus haut degré du sens de la mesure, s’interdisant tout mouvement indiscret du cœur ou de la passion, il sut nous communiquer, à nous qu’il appelait affectueusement son fils, la calme foi qu’il avait en l’avenir de sa race.
ibinimori : Bernard Maupoil. (in La Géomancie à l’Ancienne côte des Esclaves)
² Gɛdɛgbé de ma ja jo de do ; ayi ma jo whédo ; whé ma jo ayi do ; a fô a mô mi : na jo Danxomè do a. Tel est le nom du talisman Danxomè : les feuilles Gɛdɛgbé ne se détachent pas l’une de l’autre lorsqu’elles sont entrées en contact ; la terre ne se détache pas du soleil ; le soleil ne se détache pas de la terre ; tu te réveilles et tu me vois [moi Dahomey] : je ne me détacherai jamais du Dahomey
Binason Avèkes

C’est impressionnant votre lecture surtout quand je me projette dans ce passé pour vivre cela et j’ai la chair de poule.
Et depuis ce temps jusqu’à présent, ces français, après nous avoir dépouillés de notre savoir et de notre CULTURE, continuent toujours leur sale besogne envers nous les africains noirs, qui pourtant sont accueillants envers eux.
Je comprends le sentiment anti-francais des uns et des autres qui grandit, s’élargit et amplifie le firmament pour rendre joyeux et gais nos ancêtres aujourd’hui devenus des esprits puissants, de l’air qui circule, le soleil qui brille de plus en plus, … bref qui sont toujours avec nous leurs progénitures.
Le temps est venu pour renverser naturellement la tendance, le temps de l’ère du verseau, où seuls triompheront les justes sous la protection de nos ancêtres.
Je vous remercie.
KOHOUE Hognon Adrien
Béninois et ancien Fonctionnaire international.