Je vous Présente Al-ḥājj ‘Umar ibn Abī Bakri, un Intellectuel Précolonial

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L’une des sources du retard de l’Afrique  réside assurément dans le non usage extensif ou le retard de l’écriture. Toutefois, on croit souvent que sous le rapport de la culture lettrée, l’Afrique était une table rase avant l’arrivée des Européens. En fait rien n’est plus faux. Avant l’Arrivée des Européens,  il y avait déjà à certains endroits, des intellectuels ayant une production littéraire, une communauté de lettrés s’adonnant au commentaire critique des affaires du temps et composant des écrits sur les événements de l’actualité. Tel est le cas de Al-hajj’Umar  du Gonja dans le Nord du Ghana.

Al-ḥājj ‘Umar ibn Abī Bakri est né au milieu du XIXe siècle à Kano, la plus grande ville du califat de Sokoto. Son père, Abī Bakri, était originaire de Kebbi et sa mère, Maimunatu, était originaire de Kano. Le père d’Al-ḥājj ‘Umar était un marchand de kola avec des affaires à Kano et à Salaga, une ville commerciale dans l’état de Gonja dans le bassin supérieur de la Volta. Tandis qu’al-ḥājj ‘Umar étudiait avec d’éminents savants musulmans et devint très savant, il resta également impliqué dans l’entreprise commerciale de sa famille, particulièrement quand son père mourut au début des années 1880. Al-ḥājj ‘Umar a déménagé à Salaga, où deux de ses frères résidaient déjà, pour gérer l’entreprise. Peu de temps après son déménagement à Salaga, une guerre civile a éclaté. Al-ḥājj ‘Umar a fui Salaga et, après une brève période d’itinérance, s’est installé en 1896 à Kete-Krachi, une ville située à une centaine de kilomètres au sud-est de Salaga. Kete-Krachi était deux colonies distinctes: Krachi était la résidence de l’élite politique et d’autres habitants indigènes de la région, et Kete était une banlieue où résidaient les Hausa et d’autres migrants musulmans.

Kete-Krachi était dans la sphère coloniale allemande à la fin du dix-neuvième siècle. Peu après qu’al-ḥājj ‘Umar s’est installé à Kete, les responsables coloniaux allemands ont réalisé qu’al-ḥājj’ Umar était un érudit musulman plus qualifié que l’imam local de la ville: ils ont finalement nommé al-ḥājj ‘Umar dans ce rôle. Al-ḥājj ‘Umar était un intermédiaire culturel: il a développé une relation de travail avec le fonctionnaire allemand Adam Mischilch, qui a étudié sous al-ḥājj’ Umar pour apprendre le hausa et l’histoire des musulmans ouest-africains. Al-ḥājj ‘Umar a écrit de nombreuses œuvres pour Mischilch, qui est retourné en Allemagne pour composer plusieurs livres et articles de ce qu’il a appris. Les fonctionnaires allemands ont nommé un des étudiants d’al-ḥājj ‘Umar pour servir de chef de Kete. Avec cette tournure des événements, Al-ḥājj ‘Umar était une personne d’influence et est resté à Kete-Krachi le reste de sa vie.

Al-ḥājj ‘Umar était l’un des savants musulmans prééminents de son époque. À Kete-Krachi, il a organisé une école musulmane et a attiré de nombreux étudiants pour étudier avec lui. Il se rendit également en pèlerinage à la Mecque, obtenant le titre honorifique d’al-ḥājj, en voyage en Arabie entre 1913 et 1918. Le pèlerinage à La Mecque dans les années 1910 conduisit Al-ḥājj ‘Umar à devenir un chef dans l’ordre soufi Tijāniyya. A la Mecque, Al-ḥājj ‘Umar a rencontré le savant ouest-africain Alfa Hashīm, un neveu d’Al-ḥājj’ Umar Taal de Futa Toro, qui a propagé cette branche du soufisme en Afrique de l’Ouest. Alfa Hashīm était un muqaddam, un titre pour un musulman soufi avec la capacité d’initier d’autres dans l’ordre, et Alfa Hashīm a accordé ce statut à Al-ḥājj ‘Umar de Kete-Krachi, et il est apparu comme un grand maître soufi en Afrique de l’Ouest à son retour. Al-ḥājj ‘Umar a enseigné à ses disciples des prières spéciales qui ont intensifié leur conscience spirituelle et ont souligné le fait de vivre une vie pieuse. Il a également écrit des poèmes qui exprimaient des thèmes soufis de rencontrer des saints soufis antérieurs et même le prophète Muhammad dans des rencontres mystiques.

Kete-Krachi est entré dans une nouvelle ère à la fin de la Première Guerre mondiale. La Grande-Bretagne et la France ont pris le contrôle des territoires coloniaux allemands en Afrique après la guerre, Kete-Krachi tombant aux mains des Britanniques. Al-ḥājj ‘Umar a développé des relations avec les fonctionnaires coloniaux britanniques, en particulier avec le fonctionnaire britannique A.C. Duncan-Johnstone, qui a occupé divers postes dans les années 1920 et au début des années 1930. Duncan-Johnstone nomma l’un des étudiants d’Al-ḥājj ‘Umar, Malam Salaw, à la tête de la communauté musulmane de Kumase dans les années 1920. L’influence d’Al-ḥājj ‘Umar s’est ainsi poursuivie à l’époque coloniale britannique jusqu’à sa mort en 1934.

Ces expériences ont fourni à Al-ḥājj ‘Umar un aperçu de l’ère coloniale européenne. D’abord ébranlé par les événements, il en est venu à comprendre divers aspects de la consolidation coloniale sous les Allemands puis les Britanniques. Il a vu ces développements à travers le prisme d’un érudit musulman imprégné des connaissances et des attitudes des musulmans d’Afrique de l’Ouest ayant des liens avec d’autres parties du monde musulman. Ses écrits reflètent son sentiment de perte ainsi que son désir de tirer le meilleur parti des nouvelles circonstances sous la domination coloniale.

L’un des poèmes d’Umar des plus lus, qu’on trouvait dans les années 60 sous forme manuscrite au Nigeria du Nord et au Ghana parle de la conquête chrétienne de l’Afrique. Selon l’Anthropologue britannique Jack Goody, qui a travaillé dans la région dans les années 50, il révèle une remarquable vision critique du monde et des problèmes de l’époque :

J’ai mis en rime ce poème (…)

Pour le bien des gens sensés, (…)

Il sera remarqué par ceux qui ont de l’esprit.

De nos paroles

Ils saisiront l’intention.

Le soleil du désastre s’est levé à l’Occident,

Embrasant les hommes et les terres peuplées.

En termes de poète, je veux dire cette catastrophe

[ qu’est le chrétien.

La calamité chrétienne s’est abattue sur nous

Comme un nuage de poussière.

Au commencement, ils arrivèrent

Pacifiquement,

Avec des propos tendres et suaves.

« Nous venons commercer, disaient-ils,

Réformer les croyances des hommes,

Chasser d’ici bas l’oppression et le vol

Vaincre et balayer la corruption ».

Nous n’avons pas tous perçu leurs intentions

Et maintenant, nous voilà leurs inférieurs.

Ils nous ont séduits à coup de petits cadeaux.

Ils nous ont nourris de bonnes choses

Mais ils viennent de changer de ton[1]


[1] J. A. Braimah et J. Goody, Salaga : The Struggle for Power, Londres, 1967, p 192

Alan Basilegpo

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